En préambule : ce que j'écris là est un hyper-résumé d'un de mes écrits universitaires, il est le reflet de la clinique à laquelle j'ai été confrontée, c'est-à-dire la maladie grave en pédiatrie – je ne dis donc pas que c'est généralisable à toute situation.
Le point de départ c'est la question de la violence. La maladie fait violence mais le soin aussi, on fait parfois mal – en essayant au maximum d'apaiser et limiter la douleur – pour "le bien de l'enfant".
Pour soigner, on fait effraction dans le corps (piqûres, actes chirurgicaux…), on fait intrusion dans l'intimité de l'enfant et de sa famille (on acquière des connaissances sur leur bagage génétique, dans le cas de la maladie chronique on prend en charge l'enfant pendant des années et on s'intéresse à sa vie en général, au niveau somatique, psychique, social, éducatif…)
Il y a une violence structurelle au soin somatique qui intruse, effracte, ôte de la liberté, mais se justifie par sa nécessité vitale. La relation patient·es-soignant·es à l'hôpital, dans le cas des maladies graves est profondément asymétrique, les un·es ont la connaissance théorique, le pouvoir, la technique, et les autres en dépendent.
Le travail des soignant·es est donc d'éviter la "surviolence". J'emprunte ce terme à Tomkiewicz (1991) qui l'utilise dans le cadre d'institutions éducatives, la surviolence est donc une violente qui dépasse la violence inhérente au soin.
Comment la surviolence survient-elle et sous quelle forme ? La surviolence est possible lorsque la violence structurelle du soin est déniée, lorsqu'on ne peut pas la penser, et c'est particulièrement le cas lorsque les soignant·es se trouvent dans des situations qui leur font vivre de l'impuissance.
Ce que j'ai observé c'est qu'elle se manifeste sous 2 formes, qui se trouvent être le reflet de problématiques institutionnelles : l'empiètement et le rejet – qui peuvent se produire de façon simultanée.
L'empiètement c'est quand les soignant·es cherchent à absolument tout contrôler. Par ex. un·e ado qui ne prend pas bien son traitement, se met en danger, son état se dégrade, él doit être hospitalisé·e : on va être sur son dos, inutilement rigide, on va confisquer son portable, etc. Ça correspond au mouvement institutionnel, structurel, d'intrusion dans la vie intime du sujet, d'effraction dans son corps, ça rejoue aussi quelque chose de la dépendance du sujet face à la médecine, on sait ce qui est bon, on veut s'assurer que ce soit conforme à notre vision soignante.
Le rejet c'est quand la situation est tellement intolérable, on se sent tellement impuissant·es à prendre soin de la personne qu'on préférerait qu'elle soit prise en charge ailleurs. Un·e ado qui va bientôt passer en service adulte, qui ne prend pas bien son traitement, se met en danger, son état se dégrade, él doit être hospitalisé·e, on se dit que ce serait mieux que la transition se fasse maintenant, sans attendre. Ça correspond à la nécessité institutionnelle (réelle) de libérer des lits, pour d'autres patient·es qui en ont besoin – et qui feraient vivre moins d'affects négatifs.
Comment éviter ces mouvements d'empiètement et de rejet ? Et bien il faut penser, dégager du temps (et ça, à l'hôpital, yen a pas beaucoup) pour élaborer ce qui se passe, ce que la relation avec un·e patient·e fait vivre, particulièrement quand cela met à mal notre idéal soignant. Je crois honnêtement que c'est la seule chose à faire, on peut faire des protocoles, des chartes de la bientraitance tout ce qu'on veut, si on se pose pas pour parler en équipe, pour penser, on produira toujours de la violence, malgré soi.